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Une Vie

Simone Veil
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Le Texte

« Le convoi s’est immobilisé en pleine nuit. Avant même l’ouverture des portes, nous avons été assaillis par les cris des SS et les aboiements des chiens. Puis les projecteurs aveuglants, la rampe de débarquement, la scène avait un caractère irréel. On nous arrachait à l’horreur du voyage pour nous précipiter en plein cauchemar. Nous étions au terme du périple, le camp d’Auschwitz-Birkenau. Les  nazis  ne  laissaient  rien  au  hasard.  Nous  étions  accueillis  par  des  bagnards  que  nous avons  aussitôt  identifiés  comme  des  déportés  français.  [...]  Vite,  vite,  il  fallait  faire  vite. Soudain, j’ai entendu à mon oreille une voix inconnue me demander : « Quel âge as-tu ? » A ma réponse, 16 ans et demi, a succédé une consigne :
« Surtout dis bien que tu en as 18. » [...] La  file  est  arrivée  devant  les  SS  qui  opéraient  la sélection  avec  la  même  rapidité.  Certains disaient  :  «  Si  vous  êtes  fatigués,  si  vous  n’avez pas  envie  de  marcher,  montez  dans  les camions. »

Nous avons répondu : « Non, on préfère se dégourdir les jambes. » Beaucoup de personnes  acceptaient  ce  qu’elles  croyaient  être  une  marque  de  sollicitude,  surtout  les femmes avec des enfants en bas âge. Dès qu’un camion était plein, il démarrait. Quand un SS m’a demandé mon âge, j’ai spontanément répondu : « 18 ans. ». C’est ainsi que, toutes les trois, nous avons échappé à la séparation et sommes demeurées ensemble dans la file des femmes.

Nous avons répondu : « Non, on préfère se dégourdir les jambes. » Beaucoup de personnes  acceptaient  ce  qu’elles  croyaient  être  une  marque  de  sollicitude,  surtout  les femmes avec des enfants en bas âge. Dès qu’un camion était plein, il démarrait. Quand un SS m’a demandé mon âge, j’ai spontanément répondu : « 18 ans. ». C’est ainsi que, toutes les trois, nous avons échappé à la séparation et sommes demeurées ensemble dans la file des femmes.

[...] Nous avons marché avec les autres femmes, celles de la
« bonne file », jusqu’à un bâtiment éloigné, en béton, muni d’une seule fenêtre, où nous attendaient les kapos ; des brutes, même si c’étaient des déportées comme nous, et pas des SS.

[...] Après cela, plus rien, pendant des heures, pas un mot, pas un mouvement jusqu’à la fin de la nuit, entassées dans le bâtiment. Celles qui avaient été séparées des leurs commençaient à s’inquiéter, se demandant où étaient passés leurs parents ou leurs enfants. Je me souviens qu’aux questions que certaines posaient les kapos montraient par
la fenêtre la cheminée des crématoires et la fumée qui s’en échappait. Nous ne comprenions pas ; nous ne pouvions pas comprendre. Ce qui était en train de se produire à quelques dizaines de mètres de nous était si inimaginable que notre esprit était incapable de l’admettre. Dehors, la cheminée
des crématoires fumait sans cesse. Une odeur épouvantable se répandait partout. Nous n’avons pas dormi cette nuit-là. »

Une Vie,  Simone Veil (2010)

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