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Quartier Lointain

Analyse de deux planches p.354-355

L’extrait que nous allons étudier correspond au point culminant du récit: celui où le jeune garçon va tenter de retenir son père... et donc de modifier le cours de son destin!

 

 

1. Un manga entre rupture et continuité...
Cet extrait est très représentatif de l’art de Taniguchi. Ce célèbre mangaka est en effet connu pour son style à mi-chemin entre la tradition du manga et la BD franco-belge qu’il affectionne. 

 

a. Le sens de lecture du manga japonais va de droite à gauche, en partant du coin droit supérieur pour aller vers le coin gauche inférieur. Mais l’éditeur Casterman a choisi au contraire le sens de lecture de gauche à droite, auquel le lecteur européen est habitué.

 

b. Dans Quartier Lointain, par ailleurs, on note une utilisation assez classique du noir et blanc et des trames. C’est parce qu’il fallait publier à moindre coût, après la Seconde Guerre mondiale, que le noir et blanc a été choisi. Pour que le manga ne soit pas trop ennuyeux, les mangakas utilisent la technique des trames qui permettent des nuances, des reliefs et rendent le dessin plus dynamique: elles font ressortir les personnages, qui semblent ainsi plus vivants. Tanigushi s’inscrit dans cette tradition. Comme dans un manga classique, seules les premières pages sont en couleurs. Il utilise également les trames. Mais contrairement à beaucoup de dessinateurs contemporains qui incrustent leurs trames à l’aide de logiciels informatiques, Tanigushi préfère garder une méthode de découpe traditionnelle, plus minutieuse, moins rapide.

 

c. Quand, en 1969, Tanigushi devient mangaka à Tokyo, il découvre la bande dessinée franco-belge qui restera pour lui une source d’inspiration. Cette double planche donne un bon exemple de son influence européenne: la gestion du texte et de bulles est sobre, presque classique. 

 

d. Les techniques dites du personnage mannequin et du personnage témoin sont également traitées de façon originales dans cette double planche. Dans l'art du manga traditionnel, un personnage mannequin est celui qui prend une place conséquente dans la vignette. Il est au premier plan. Le personnage témoin, plus petit, est en arrière-plan. Tanigushi a parfois recours à cette technique, mais peu par rapport aux mangas ordinaires. Dans notre extrait comme dans l’ensemble de Quartier Lointain, les vignettes présentent, côte à côte, des personnages de même taille. Il s’agit de scènes intimistes: des scènes de repas de famille, ou des scènes de confidence.

 

e. Enfin, dans l'extrait qui nous intéresse, on note que Tanigushi réemploie un certain nombre de techniques typiques du manga pour traduire les émotions de ses personnages: grands yeux, traits de vitesse, onomatopées... de ce point de vue, Quartier Lointain s'apparente à un manga "dans les règles de l'art". Toutefois, on sent une forte influence de la BD occidentale, en raison de l'absence de certains effets incontournables du manga habituel: la veine de colère, la goutte de sueur, le super deformed, sont des stéréotypes du manga que Tanigushi semble laisser de côté. 

 

 

 

2. Une scène décisive ... 

Cet extrait constitue une scène d’une grande intensité dramatique. Le héros est confronté à son père au moment du départ. On y découvre le mal-être du père et sa volonté de prendre sa vie en main.
Hiroshi est sur le point de faire basculer le cours de sa vie en empêchant son père de fuir son foyer.
 

a. Le story board, c’est-à-dire le découpage de l’action et  son cadrage dans les vignettes, s'inspire beaucoup aux techniques du cinéma. La grande variété des plans accentue l'intensité de cette scène. Les plans rapprochés sur les roues du train, la sonnerie qui annonce son entrée en gare, augmentent le suspense. Le lecteur est tenu en haleine et partage l’émotion d’Hiroshi qui tente de convaincre son père.

 

b. Comme souvent dans Quartier Lointain, on assiste à une rupture temporelle: Hiroshi se souvient brutalement de sa propre vie d’adulte et se voit, lui-même père de famille. Ce flashback dans le futur est donc une anticipation. Hiroshi prend conscience des menaces qui pèsent sur son couple: son penchant pour l’alcool, son mal-être, son indifférence à l’égard de ses enfants...

 

 

 

En conclusion ... 

Hiroshi comprend l’utilité de cette plongée dans son adolescence. Certes il n’empêchera pas son père de quitter sa mère. Mais il va sans doute pouvoir sauver son propre couple. Ses relations avec sa femme et ses filles sont compliquées. À la fin du manga, il devient un autre homme en reprenant vraiment son rôle de père de famille. 

Cette scène est très représentative du talent de Jirô Tanigushi, qui parvient à mêler la tradition du manga japonais et l’influence de la BD franco-belge pour créer une oeuvre profonde, complexe et universelle.

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